Du 27 septembre 2024 au 2 février 2025, la National Gallery rend hommage à l’artiste anglo-singapourienne Kim Lim, réputée pour ses sculptures et gravures minimalistes. Comptant plus de 150 œuvres, « Kim Lim : The Space Between. A Retrospective » est la première exposition de cette envergure à ce jour. Outre les sculptures et gravures qui l’ont rendu célèbre, l’exposition met en scène des œuvres originales dont des maquettes, des photographies inédites et autres archives. Lepetitjournal.com a rencontré les commissaires de l’exposition ainsi que les deux fils de l’artiste qui ont permis de reconstituer l’épopée créative de Kim Lim mais aussi la philosophie qui a sous-tendu son travail pendant 40 ans.
Une exposition attendue dans le monde de l’art moderne
Cette année, la National Gallery de Singapour a choisi de mettre en avant à travers 4 expositions majeures une génération d’artistes singapouriens pionniers d’art contemporain : Cheong Soo Pieng, Teo Eng Seng, Kim Lim et Lim Tze Peng. C’est dans ce contexte que se tient à partir du 27 septembre la rétrospective des œuvres de Kim Lim, marquant son influence minimaliste sur la création contemporaine à travers ses sculptures abstraites en bois et en pierre et ses gravures sur papier qui symbolisent le rapport entre l’art et la nature et souligne l’importance des courbes, des surfaces et de la lumière dans une approche spartiate de l’espace.
L’exposition Kim Lim : The Space Between. A retrospective révèle comme son nom l’indique la position d’entre-deux de l’artiste : entre deux cultures et identités (singapourienne et anglaise), entre deux types d’expression artistique (sculpture et gravure), entre deux mondes (physique et ressenti), où la métaphore et la subtilité dans la mise en scène des œuvres prennent tout leur sens.
Les commissaires Adele Tan et Joleen Loh ont divisé l’exposition en quatre sections, respectant la chronologie des périodes créatives de l’artiste tout en mélangeant les médiums – sculptures, gravures, photographies, maquettes, dessins – qui offrent chacun une esthétique différente mais partagent la même sensibilité à la lumière, l’espace et le rythme.
La première partie est consacrée aux premières œuvres de l’artiste au début des années 60 où l’abstraction se mêle à l’art hérité des civilisations antiques. Elle pose les fondements de l’exploration artistique de Lim. En s’exprimant à travers des techniques d’assemblage et de délimitation, Lim crée notamment des sculptures en bois et en bronze imposantes telles que Pegasus et Centaur II. Inspirée par l’artiste roumain Constantin Brâncusi, elle adopte une spatialité verticale pour des œuvres en colonnes, qu’elle dispose à même le sol pour mettre en valeur leur enracinement à la terre et leur puissance.
La deuxième section est marquée par l’introduction de couleurs vives et de matériaux industriels comme l’aluminium ou la fibre de verre. L’excentricité des contours et des lignes concentriques tend à diffuser une sensation visuelle de rythme au-delà de l’œuvre en tant qu’objet réel. Elle renforce ainsi la précision des formes géométriques et en fait une qualité essentielle des œuvres. Echo, Borneo I et Water Piece illustrent cette redécouverte de l’art à travers la simplicité des contours. Les pièces présentées dans cette salle affichent, telle une coquille vide, la vacuité d’un volume négatif qui contraste avec les premières œuvres de l’artiste, hautes et massives.
Dans la troisième section, l’approche de l’artiste se détache du courant minimaliste traditionnel des années 70 pour ajouter à l’ordre mathématique un schéma d’intervalles répétés, accentué par un jeu d’ombre et de lumière. L’idée est de dévoiler le rythme inhérent à tout espace par le biais d’une récurrence d’objets composés de leur forme et leur ombre. Cette partie de l’exposition vise à explorer davantage les espaces et interstices laissant passer la lumière entre les œuvres plutôt que leur masse ou leur volume. L’agencement de pièces telles que Intervals ou Irrawady, dépourvu d’orientation claire, en épines dorsales apposées sur des murs baignant dans une lumière sculpturale, multiplie les lignes et bouleverse la vision d’une structure angulaire finie.
Enfin, la quatrième partie se caractérise par la volonté de Lim de transcrire son observation de la nature à travers le travail exclusif de la pierre. Elle entreprend dès lors de sculpter des pièces massives de marbre et d’en reconstituer les traces d’érosion ou de craquellement par un jeu de lignes délicates tranchant avec l’épaisseur compacte de la pierre. Les blocs de pierre sont ainsi ciselés par des entailles délicates et ondulées où la lumière s’introduit naturellement (cf. Langkawi et Kudah).
De la lourdeur des matériaux à la douceur des contours
Née en 1936 à Singapour, Lim grandit sous le colonialisme britannique à Malacca et Penang puis sous l’occupation japonaise. A 18 ans, elle part à Londres pour poursuivre des études d’art, tout d’abord à Central Saint Martin’s School of Art où elle réalise des sculptures sur bois, puis à Slade School of Fine Art où elle se lance dans la gravure.
Dans les années 60, ses premières œuvres sont caractérisées par l’utilisation de matériaux comme le bois et le bronze et un savoir-faire qui atteste d’une agilité technique exceptionnelle. Elle s’inspire par la suite de la nature pour achever un « art supérieur », dénudé dans ses formes et élégant dans son concept. Se détachant des canons traditionnels, Lim observe les forces naturelles et reproduit dans son œuvre des moments de vie intense tels que les courbes des dunes du désert, la brise marine ou la profondeur d’un tronc d’arbre.
Son art culmine en 1979 lorsqu’elle expose dans une galerie circulaire, la Roundhouse à Camden Town, des œuvres non-linéaires de marbre dont les motifs révèlent la récurrence du concret et de l’abstrait jusqu’à l’invisibilité. Une dichotomie qu’elle tente de synthétiser en une œuvre unique et qui se veut le reflet du contraste existant entre l’immobilisme minéral et le dynamisme organique. Ainsi, la matière occupe toujours une place centrale dans la pratique de Lim, lui permettant d’atteindre une pluralité de genres dans des espaces imaginaires, loin des biais des courants établis, afin de prolonger le pouvoir de l’enchantement artistique. Dans les années 80, sa passion pour les civilisations anciennes (grecque, chinoise) inspire ses œuvres. Elle continue de travailler la pierre brute mais à la lourdeur des volumes et des poids de matériaux massifs tels que le marbre, elle oppose la fragilité et la douceur des lignes.
Elle exposera dans le monde entier, notamment Londres (Tate Gallery), Paris (Musée d’art moderne) et le Japon (Musée de Nagaoka) jusqu’à sa mort prématurée en 1997.
Une artiste imprégnée de ses origines et d’inspiration universelle
Tout au long de sa vie, elle parcourt le monde avec son mari, le sculpteur William Turnbull, et ses voyages influencent son travail de manière déterminante, de la même manière que son besoin incessant de se réinventer en explorant de nouvelles voies d’expression. Kim Lim est une artiste aux racines profondément singapouriennes. Le sentiment d’identité est inégalé au sein de toute diaspora et son cas ne fait pas exception. Bien qu’elle s’installât très jeune au Royaume-Uni, ses nombreux voyages en Asie lui permirent de garder un lien avec ses origines et de le faire vivre dans son art.
L’œuvre de Kim Lim retrace également son parcours d’artiste femme d’origine asiatique dans un monde dominé par les hommes. Son art est mondialement reconnu bien qu’elle fût, au début de sa carrière, la seule artiste femme non-blanche à exposer en solo. Elle refuse même d’être représentée dans une exposition consacrée aux artistes femmes afro-asiatiques, s’opposant à une stigmatisation de son art. Alors qu’il était impensable qu’une femme asiatique puisse être reconnue pour son art, Lim put non seulement atteindre et dépasser l’euphorie de la production artistique en jouissant d’une légitimation de son talent mais aussi instiguer sa vision moderne de l’art. Un modernisme qui se veut aujourd’hui une réaction mesurée à la tradition et un catalyseur universel de la beauté.
Si l’œuvre de l’artiste avait été quelque peu mise de côté après son décès, l’exposition à la National Gallery de Singapour arrive à point nommé pour célébrer le travail pionnier de Kim Lim dont la reconnaissance reste très actuelle et s’inscrit dans l’histoire contemporaine de la sculpture et de la gravure.
Informations et réservations : https://www.nationalgallery.sg/kimlim#about